Lectures : Ps. 22; Esaïe. 52,13-15 + 53,1-12; 2 Cor. 5,14-21; Jean 19,16-30; Hébreux 9,15 +26-28
Frères et soeurs, que la grâce et la paix de notre Seigneur s’enracinent profondément en vous ! Amen !
Nous lisons dans l’épître aux Hébreux 9,15.26-28 …
Oui, nous sommes de ceux « qui l’attendent », aussi nous voilà une fois de plus au pieds de le croix. Cette croix qui nous est si familière… son horreur ne nous choque plus guère. Une chaise électrique serait plus parlante, sûrement… Enfin l’immense croix derrière moi reste bien impressionnante, choquante même de violence, parfois des enfants pleurent en la voyant.
Plus mignon, mais non moins cruel, au fond, est l’image de l’agneau avec son fanion, symbole du même sacrifice du Christ, « l’agneau qui ôte le péché du monde ». Rien que ça : Enlever le péché… du monde… ! C’est inouïe, c’est fantastique, si seulement nous pouvions nous laisser impressionner encore.
Mais toutes ces expressions et notions de l’épître aux Hébreux ne surprendront personne au culte d’un vendredi saint, « la colère de Dieu, la nouvelle alliance, les sacrifices et puis eh oui : le péché, le péché ? » Honnêtement, une fois le seuil franchi dans le sens de la sortie, tout à l’heure, tout cela aura-t-il encore un sens ?!
Puisqu’on a bien réussi à ne plus en parler dehors, à rejeter le péché dans une époque moralisatrice, démodée et révolue, à le refouler tout au fond de nous-mêmes, bien tassé sous une couche de liberté individuelle, à le diluer dans un relativisme où chacun revendique le respect tout en étant incapable de le donner. Vous l’avez constaté comme moi, de nombreuses fois : plus personne ne supporte la critique et chacun s’emballe de suite au quart de tour. Les conflits s’enlisent à défaut de vrai pardon, l’échec est inavouable sous peine d’exclusion et nombreux sont ceux à avoir besoin de psy pour pouvoir enfin se regarder en face, calmement.
Alors le péché, parlons-en, afin d’acquérir la liberté, la liberté d’avouer, d’être pardonné et de pardonner. La liberté, que dis-je, la santé, pour nous et pour notre monde.
La croix nous dit avec force la réalité du péché: Il faut appeler un chat un chat.
Et la croix ensuite nous dit encore et surtout qu’il existe un moyen de s’en libérer, vraiment, profondément, sereinement, si nous voulions bien le suivre.
Un jeune musulman, tout à fait conscient, lui, de l’existence du péché, et à qui un camarade de classe avait parlé de la crucifixion de Jésus, lui dit : « Si Jésus est vraiment mort sur la croix, alors il ne peut pas être le Fils de Dieu, comme vous le prétendez, car, quel père digne de ce nom, tolérerait pareil supplice pour son fils ! »
Ah ! Ce réflexe de la pensée, vieux comme le monde et manifestement irréductible, qui désigne comme vainqueur toujours le plus fort et comme coupable forcément le souffrant. « Si j’accepte d’être frappé, si je ne me défends pas, c’est donc que je mérite les coups. Il n’y a pas de fumée sans feu, tu as forcément fait quelque chose… » Et la phrase-clé est déjà sur nos lèvres : « Oui, qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ça ?! »
Pourtant le jour de la mort de Jésus, cela faisait déjà bien 500 ans que le prophète-poète Esaïe avait donné au peuple de Dieu les célèbres chants que nous avons entendus tout à l’heure et qui disent: « Non, non et non, le serviteur souffrant, n’est pas le coupable, Dieu ne le punit pas, il ne châtie pas son fils en croix, mais au contraire, son fils, c’est Dieu lui-même qui s’unit à nous et prend tout sur lui-même, même notre péché . » Inouïe, c’est vrai, révolutionnaire-même : le plus fort n’a pas forcément raison, les gagnants ne sont pas toujours les gagnants et Dieu, le tout-puissant, se place du côté des perdants.
En Jésus de Nazareth le Dieu vivant, s’incarne et vit tout de notre vie humaine. De A à Z. Il ne se défile pas. Il ne se protège pas. Il ne fait pas usage de son pouvoir. Il va jusqu’au bout de notre vie, violente, pervertie par … le péché. Depuis le croix plus rien ne sépare Dieu et les humains. Dieu est l’un d’entre nous et Il ne nous quitte plus. Depuis le début de la Création il le savait : un jour Il fallait le faire. Les anciens sacrifices, que Dieu avait jadis ordonnés, un jour il fallait bien qu’Il les dépasse et que le Créateur se joigne tout à fait à sa créature. En Jésus c’est fait.
Une fois pour toutes, dit l’épître aux Hébreux, une ultime fois, le Fils de Dieu, Jésus l’a fait, est devenu en même temps le grand-prêtre et l’animal de sacrifice pour ôter le péché du monde. C’est cela Vendredi saint.
Maintenant nous pouvons nous examiner, nous-mêmes et notre monde, avec sérieux et sans rien embellir, sans nous défiler, sans rejeter la faute sur les autres, avec la sérénité et la confiance de la foi chrétienne, qui sait qu’au fond et malgré les apparences le pardon existe, qu’une issue peut être trouvée, qu’un changement de mentalité est possible. Maintenant rien n’est jamais perdu, car l’agneau de Dieu ôte le péché du monde, vraiment.
Bien-sûr, c’est en décalage avec nos réflexes naturels et dans la plupart des autres religions cette liberté n’existe pas. Même nous ne la saisissons pas automatiquement, mais depuis la croix Dieu marche 100% à nos côtés et jusqu’au bout, Il ne recule devant rien et le mal et notre péché, Il prend tout sur Lui.
Avec cette assurance, plus besoin de te fatiguer à calculer tes mérites ou tes fautes, plus moyen de te décourager, ni de te surestimer, ni même d’évaluer ton destin, juste ou injuste : au bout de ta route aussi il y a la bonté et l’amour. Mets ta main dans la main de notre Seigneur et Il t’y accompagnera vers son Royaume.
Et toi, ces temps-ci, ce matin peut-être, Dieu que te demande-t-il ? Jusqu’où dois-tu aller, toi ? Que dois-tu accomplir ?
Tu le sais très bien au fond de toi. Et aujourd’hui le Seigneur te le redit : Vas-y, avance, va jusqu’au bout. Et moi j’irai au bout, jusqu’au bout avec toi. Le péché, je l’ai enlevé, tu n’as plus de frein. Marche, marche en ma présence, je suis avec toi.
Ne l’oublie pas, même une fois le seuil de cette église franchi, tout à l’heure. Et que Dieu te bénisse. Amen.
Ulrike Richard-Molard